"Il prend le manuscrit, l’entrouvre, le parcourt, et le rejette brusquement… Miséricorde ! ce roman est en lettres… il y a longtemps qu’on ne veut plus de cela… C’est malheureux que cette dame ait pris la peine d’écrire… -- Comment ! on ne veut plus de lettres ! et que fait-on aujourd’hui qui vaille mieux que Clarisse Harlove, Grandisson, Mme Riccoboni, et de nos jours, Delphine… les Mères Rivales, Adèle de Senanges, et plusieurs autres ? – C’est vrai… très vrai, reprend le libraire, je suis fort de votre avis ; mais que voulez-vous ? nous ne vendrions pas cela… véritablement je ne peux pas m’en charger… mais voyez ailleurs. [...] « Ne refaites pas votre roman, ajouta-t-il, mais délayez votre sujet ; placez un épisode qui fera déjà la moitié du second volume, car tout au moins il en fait deux. Mais j’oubliais, quel est votre titre ? – Clémence, ou l’Orpheline. – Cela ne vaut rien… rien du tout…, il y a déjà dix Orphelines…, ce titre-là est bien froid…, bien usée… -- Ne pensez pas au titre, monsieur, lisez le roman. – Vous vous trompez, ma belle dame, le titre est tout, c’est lui qui attire le lecteur et qui fait vendre l’ouvrage. Ne vous embarrassez même pas trop qu’il convienne à votre sujet ; mais qu’il soit neuf, piquant, ou même un peu terrible… Que voulez-vous, c’est le goût du jour, et les romans sont éphémères comme les chapeaux des dames"

— Félicité de Choiseul-Meuse, "Les vicissitudes d'une femme auteur", L’héritage de mon oncle l’abbé, ou La revue de mon secrétaire, Paris, Masson fils aîné, 1823.